Cabinet Avocats Champauzac
Peut-on attaquer le constructeur pour dol alors que le délai de garantie décennale est dépassé ?

Peut-on attaquer le constructeur pour dol alors que le délai de garantie décennale est dépassé ?

Ce genre d’argument (le fameux "dol"), pour contourner l’expiration du délai décennal (10 ans) de garantie pour les désordres portant atteinte à la solidité de la construction ou la rendant impropre à sa destination (d’habitation, commerciale etc…), procède d'une « facilité de conviction », sans effet juridique pertinent, pour tenter d’échapper souvent psychologiquement (pour le propriétaire victime) à la douloureuse réalité.

Le cas typique est celui d’une maison qui, dans le délai de 10 ans de sa réalisation, présente quelques fissures sur une poutre porteuse. Le constructeur vient réparer en disant que ce n’est pas grave. Il place un sabot ou un contrefort, et l’affaire est classée. Aucune déclaration à son assureur décennal n’est effectuée. Le propriétaire profane lui fait confiance puisqu’il est venu « réparer ».

Le délai de 10 ans est écoulé depuis plus d'un an et la situation devient terrible : d’autres poutres sont fendues et un affaissement apparait. Souvent, l’intervention d’un ingénieur en bâtiment assène le verdict selon lequel la maison risque de s’écrouler…

Il est facile de s'auto-convaincre que votre constructeur vous a trompé : il vous a caché la gravité de la situation pour vous empêcher de déclarer le sinistre à l’assurance et d'engager un procès dans le délai de 10 ans… Il y a dol !

Alors ? Comme toujours, ce n’est pas aussi simple qu’une photo retouchée sur Instagram…

Certes, théoriquement une malfaçon après garantie décennale peut être prise en charge si elle est la conséquence d'une faute dolosive du constructeur. Dans ce cas, le maître d'ouvrage (le propriétaire) doit prouver que la faute de l'entreprise est volontaire. En revanche, il n'est pas nécessaire d'apporter la preuve d'une intention de nuire.

Il faut donc que l’entreprise ait eu conscience de ses erreurs dans la construction et qu’elle vous les ait volontairement cachées lors des réparations pendant le délai de 10 ans... Cela s’annonce très difficile à prouver.

Il faudrait que le constructeur reconnaisse qu’il a volontairement dissuadé le propriétaire de déclarer le sinistre pendant la durée de garantie, à l’assurance décennale en faisant des réparations de fortune, alors qu’il savait que la solidité de la maison était compromise. Il aurait alors trompé le propriétaire volontairement. Mais on peut douter du fait qu’il reconnaisse cela par écrit...

Exemple de cas où la faute dolosive n’a pas été reconnue : le cas d'un mauvais calcul d'un bureau d'études ayant entraîné un déficit de 83% en ferraillage pour une structure porteuse, ce déficit étant la cause de fissures structurelles.

Malgré le manquement professionnel, la faute dolosive n'est pas retenue, le bureau d'études n'ayant pas eu la volonté (que le demandeur doit prouver) de préconiser un ferraillage défaillant (3ème Chambre de la Cour de Cassation, arrêt du 12 juillet 2018).

La déclaration d'une malfaçon due à une faute dolosive doit se faire dans les 5 ans suivants l'apparition du désordre (article 2224 du code civil). Cependant, le délai pour agir ne dépasse jamais 20 ans, après la signature du contrat (article 2232 du code civil).

Par ailleurs, le constructeur n'est assuré obligatoirement que pour la garantie décennale, qui est une responsabilité de plein droit. Pour le reste, s’il est assuré, c'est seulement pour les dommages aux tiers au titre de sa responsabilité civile (le client n’est pas un tiers, attention).

Le dol engage la responsabilité contractuelle pour faute de son auteur, qui n’est donc pas assuré pour cela. Ce n’est donc pas l’assurance qui prendra le sinistre en charge pour des travaux de 200 000 €, voire plus, et le propriétaire ne devra ainsi faire face judiciairement qu’à son constructeur, qui risque bien de partir en liquidation judiciaire…

La seule solution dans un cas aussi désespéré réside dans la notion de dommage évolutif. Mais c’est un autre sujet juridique.