L’occasion est souvent trop belle pour une collectivité de préempter un bien immobilier qu’elle n’avait pas pour projet initial d’acquérir. La réception par la mairie de la déclaration d’aliéner (DIA) suscite en effet très souvent des idées aux élus locaux.
Dès lors qu'il faut motiver une préemption, tandis que le « projet » communal vient d’émerger par l’effet de la notification de la DIA (même si aucune décision publique n’a été prise et qu'aucun financement n’a été trouvé), et que le délai de deux mois pour préempter est très court, l’idée de se tourner vers la réserve foncière peut paraître séduisante : "on préempte pour la réserve foncière et on verra après !".
Pour se substituer à un acquéreur qui a signé une promesse de vente, la commune qui préempte doit se justifier, même si elle ne discute pas le prix et achète « à prix indiqué » dans la DIA, selon la formule consacrée.
A cet égard, la motivation par la réserve foncière semble facile et opportune pour ne pas rentrer dans le vif du sujet, et laisser une motivation générale (et floue) à la préemption. Mais il faut également rappeler que notre état de droit ne laisse pas la place à l’arbitraire et au bon vouloir des personnes publiques, lesquelles font régulièrement preuve d'ingéniosité pour légitimer leur action (via l’intérêt général, notion générique qui impose d’être déclinée et illustrée à chaque cas particulier).
Ainsi, pour préempter, en vertu de l’article L210-1 du code de l’urbanisme, il faut justifier d’une opération d’aménagement ou d’actions ayant :
« (...) pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le recyclage foncier ou le renouvellement urbain, de sauvegarder, de restaurer ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, de renaturer ou de désartificialiser des sols, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. » (article L300-1 du code de l’urbanisme).
Il pourrait alors être simple pour une commune de prétendre, dans l’acte d’exercice de la préemption, qu’il s’agit par exemple d’une réserve pour créer de l’habitat social ou une future zone économique, sans en déterminer plus amplement les contours.
Mais le Conseil d’État est beaucoup plus exigeant. Comme souvent, il interprète le texte (ou rajoute à la loi, selon certains) en imposant la justification d’une réalité - au moins vraisemblable - du projet servant à la préemption.
En matière de réserve foncière, il est ainsi obligatoire d’avoir déterminé préalablement à la préemption, le périmètre de cette future réserve, à peine d’illégalité et donc d’annulation (CE, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 20/11/2009, n° 316732): "la collectivité peut soit indiquer l'action ou l'opération d'aménagement prévue par la délibération délimitant ce périmètre à laquelle la décision de préemption participe, soit renvoyer à cette délibération elle-même si celle-ci permet d'identifier la nature de l'opération ou de l'action d'aménagement poursuivie". Une réserve foncière non définie de façon cohérente ne respecte pas les dispositions du code de l’urbanisme, et la préemption s’en trouve illégale, celle-ci pouvant même être suspendue en référé par le Tribunal administratif.
Pour une mise en œuvre récente de cette solution, voir :
Tribunal administratif de Lille, 1ère chambre, 13 juin 2023, n° 2110215
Conseil d'État, 1ère chambre, 27 mai 2024, n° 490749
Ce principe jurisprudentiel vise à éviter les réserves foncières de pure circonstance et qui ne correspondraient même pas aux zonages du plan local d'urbanisme. Il convient donc de renoncer à préempter pour des réserves foncières imaginées au dernier moment, sans aucun périmètre.
Il faut rappeler enfin qu’en cas de préemption illégale, annulée par le juge administratif, la collectivité publique ne peut pas régulariser. Si elle a passé entre-temps l’acte d’acquisition chez le notaire, elle doit rétrocéder le bien à l’acquéreur évincé, dans le cadre de l’exécution du jugement du Tribunal et sans qu’il soit besoin pour le vendeur ou l’acquéreur évincé d’avoir préalablement agi en nullité de la vente devant le Tribunal judiciaire.