Cabinet Avocats Champauzac
Densité des constructions dans les stations balnéaires et de montagne : comment se protéger juridiquement ?

Densité des constructions dans les stations balnéaires et de montagne : comment se protéger juridiquement ?

La succession des lois d’urbanisme depuis 2000 et notamment la loi ALUR de 2014, renforcée dans ses contraintes par la loi ELAN de 2018 et encore plus, dernièrement, par la loi "Climat et Résilience" de 2021, a entraîné une course au foncier entre les promoteurs, spécialisés dans les immeubles de tourisme à la mer et à la montagne.

La loi "Climat et Résilience" fixe ainsi un objectif d’atteindre en 2050 « […] l’absence de toute artificialisation nette des sols […] », dit « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN). Elle a également établi un premier objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme de la consommation d’espaces dans les dix prochaines années (2021 – 2031).

Dès lors, la course est effrénée et la concurrence est rude pour trouver encore un bout de parcelle au cœur du lacet d’une route interne à l’enveloppe urbaine de la station, laquelle délimite les secteurs où l’on peut construire en vertu des plans locaux d’urbanisme existants.

En construisant n’importe où (sur un talus en forte pente, à la place d’un petit chalet existant qu’on démolit d’abord pour construire à la place une vingtaine de logements touristiques), on peut ainsi impacter un immeuble existant, ou venant tout juste d’être commercialisé et achevé, par l’édification par un autre promoteur, sur la quasi-même emprise foncière, d’un nouvel immeuble lui aussi à destination de logements touristiques. Et ainsi de suite, ce dernier pouvant ensuite à son tour subir des vis-à-vis ou des vues intempestives et des nuisances sonores (véhicules) par un troisième immeuble construit, bout à bout, dans le prolongement des 2 premiers, en-dessous ou en-dessus ! La situation n’est pas théorique mais bien réelle, en particulier dans les grandes stations de montagne, malgré (ou à cause) des prix au m² qui s’envolent (rareté et inflation).

Alors, que faire si votre propre appartement, que vous avez acheté il y a moins de 2 ans par exemple, est fortement impacté ? Personne ne vous a pas averti du projet voisin qui risque de vous boucher la vue sur le seul coin de mer ou sur les sommets dont vous disposez, ni lors de la commercialisation, ni dans votre acte notarié d’acquisition, sans compter les nuisances autres que visuelles… Dans la quasi-totalité des situations, l’appartement perd (fortement parfois) de sa valeur vénale et devient très difficile à louer et à revendre...

Il est évident qu’un promoteur professionnel affiche son permis de construire dans les formes légales de manière continue pendant 2 mois et qu’il le fait constater par un huissier de justice pour faire courir le délai de recours contentieux de 2 mois au Tribunal administratif contre le permis de construire.

Vous vous êtes aperçu assez tardivement de ce projet qui va impacter votre appartement, et le recours d’un point de vue du droit de l’urbanisme risque d’être hors délai. C’est souvent ce qui se passe, les propriétaires n’étant pas toujours présents dans la station, surtout l’hiver à la mer et l’été à la montagne.

Mais tout n’est pas perdu. Il vous reste 2 solutions juridiques et contentieuses : l’une devant le tribunal judiciaire contre le promoteur du programme voisin sur le fondement du trouble anormal de voisinage. Ce n’est plus la règlementation de l’urbanisme qui est alors invoquée, mais le droit civil : le fait que le permis soit définitif n’a aucun effet juridiquement sur le respect des règles du code civil.

Article 1241 du code civil : « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

Les troubles anormaux de voisinage sont des nuisances qui excèdent les inconvénients normaux de voisinage. Ils peuvent être sanctionnés même si leur auteur n’a commis aucune faute. Un propriétaire n’a pas le droit d’imposer impunément à ses voisins une gêne excédant les obligations ordinaires du voisinage. Le droit à réparation a été reconnu lorsque le trouble de voisinage a dépassé la mesure des inconvénients normaux du voisinage.

C’est donc l’anormalité de la nuisance qui permet au juge de sanctionner l’auteur du trouble et d’indemniser la victime. Dans l’absolu, il est théoriquement possible qu’un tribunal civil suspende un projet immobilier s’il présente trop de nuisances au voisinage environnant. En pratique, il faudrait que les nuisances soient très importantes. En tous les cas, des aménagements peuvent être imposés judiciairement et/ou des dommages et intérêts pour les dommages subis (perte de jouissance et de valeur du bien). 

La 2ème solution est aussi devant le tribunal judiciaire, mais cette fois contre le vendeur de votre propre appartement.

Le vendeur en VEFA (un promoteur) ou le vendeur sous la forme d’une SCI (une SCI à qui vous avez racheté l’appartement) est tenu à la garantie des vices cachés de l’article 1641 du code civil. Seul le propriétaire vendeur, personne physique, est exonéré sous réserve qu’il n’ait pas caché l’information à son acquéreur. Le fait qu’un projet immobilier vienne impacter considérablement votre appartement constitue un vice caché. Si vous aviez connu au moment de l’achat ce problème, vous n’auriez sans doute pas acheté ou demandé une réduction du prix (c’est le principe juridique du vice du consentement).

Article 1641 du code civil : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».

Souvent, le promoteur-vendeur a aussi manqué à son devoir d’information imposé par le code civil, si rien n’est mentionné dans votre acte. Les promoteurs se connaissent entre eux, et travaillent ensemble sur les stations importantes (parfois, l’un commercialise le programme de l’autre et vice-versa). En tous les cas, ils surveillent les programmes concurrents dont ils sont facilement informés (par les mairies notamment).

L’action doit être intentée dans les 2 ans de la découverte du vice (article 1648 du code civil). Il faut donc fixer (et prouver) le point de départ de la connaissance du vice à la date de la découverte du problème. C’est cette date qui constitue le point de départ du délai de 2 ans de connaissance du vice. Au pire, il faut retenir la date d’affichage du permis de construire du programme impactant votre appartement. Pour les vices cachés, vous pouvez demander l’annulation de la vente et la restitution du prix augmenté de dommages et intérêts, ou une réduction du prix de l’appartement si vous voulez le garder.


Pour mettre la pression, il est possible d'engager les deux procédures en même temps pour trouver ensuite un accord par une médiation ordonnée par le tribunal, par exemple. Ou laisser le tribunal se prononcer, bien entendu. L’engagement de procédures judiciaires ne facilite pas la commercialisation et conduit souvent les promoteurs à chercher à négocier. Évidemment, il n’y a jamais deux cas exactement les mêmes ; l’élaboration d’une stratégie contentieuse fructueuse se fait au cas par cas avec l’assistance d’un professionnel du droit compétent, averti et expérimenté.