Procès gagné au Tribunal administratif de Grenoble
Le 4 juin 2015, le Tribunal administratif de Grenoble a rendu un jugement dont le raisonnement juridique nous semble parfaitement logique.
Le Cabinet Champauzac représentait dans cette affaire les intérêts d’une société à responsabilité limitée (SARL), laquelle était opposée à une commune drômoise.
Pour comprendre la solution de ce jugement, il convient de faire un bref rappel des faits. En l’espèce, la SARL, spécialisée en promotion immobilière, avait transmis une demande de permis d’aménager auprès de cette commune drômoise. Il s’agissait pour ce promoteur d’obtenir l’autorisation d’aménager plusieurs terrains afin de les viabiliser, et ce dans le but de réaliser une opération de lotissement à usage principal d’habitation. Les terrains étaient situés en zone UD du document d’urbanisme de la commune, c’est-à-dire en zone constructible.
I/ L’illégalité du refus de permis d’aménager
Par arrêté du 22 mars 2012, le maire de cette commune refusa toutefois de délivrer le permis d’aménager à la société en se fondant sur l’absence de desserte des terrains par les réseaux d’eau, d’assainissement et d’électricité, et en reprenant dans sa décision les dispositions de l’article L. 111-4 du code de l’urbanisme.
Le refus de permis d’aménager était en fin de compte basé sur une prétendue incapacité de la commune à indiquer par quel concessionnaire et sous quels délais les réseaux et équipements publics seraient réalisés, en vue du raccordement desdits terrains appartenant à la société.
Cet article du code de l’urbanisme dispose en l’occurrence que :
« Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l’aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés (…) ».
La jurisprudence administrative a par ailleurs précisé la procédure à suivre. Selon un arrêt Matari du Conseil d’État en date du 4 mars 2009 (n° 303867), un refus de permis de construire pris en application des dispositions de cet article L. 111-4 ne peut être opposé que si l’autorité compétente a accompli les diligences nécessaires pour recueillir les informations auprès des services et organismes susceptibles d’intervenir.
Or, tel n’était pas le cas en l’espèce.
S’il est vrai que d’anciens avis avaient été sollicités auprès de certains organismes, ces avis ne concernaient qu’une demande de permis d’aménager antérieure.
En outre, il faut préciser en l’espèce que la commune avait adopté à l’unanimité, le 27 février 2012, une nouvelle délibération où elle s’engageait à lancer les travaux de desserte des terrains appartenant à la SARL (ces travaux étant pris en charge financièrement par le promoteur). Cette combinaison d’éléments a ainsi permis de démontrer que les circonstances de fait et de droit avaient évolué entre la première demande de permis d’aménager, et celle actuellement querellée.
Dès lors, le tribunal a justement considéré que le refus du maire était entaché d’illégalité en ce qu’il s’était fondé sur des avis devenus obsolètes et, qu’au surplus, la commune avait acté par acte unilatéral que les travaux de desserte seraient bel et bien réalisés. Pour ainsi dire, la commune s’était donc trouvée en situation de compétence liée vis-à-vis de la SARL, en ce sens qu’elle se devait de consulter les autorités compétentes pour pouvoir évaluer les délais de réalisation des travaux.
C’est sur cette base que le tribunal a ainsi annulé le refus de permis d’aménager au regard de l’illégalité commise par la commune.
II/ L’engagement de la responsabilité de la commune
Tout l’intérêt du litige résidait alors dans ce qu’une illégalité étant par principe fautive, la commune était susceptible d’engager sa responsabilité (Conseil d’État, 26 janvier 1973, Driancourt, n° 84768, Rec. p. 77).
Ainsi, à titre d’exemple, le juge administratif a déjà considéré que l’aménageur d’une zone d’aménagement concerté a droit, en cas d’échec imputable à l’administration, au remboursement des dépenses engagées au titre des avants-projets et études préparatoires, des études techniques et architecturales établies pour la mise en œuvre du programme, des honoraires versés au géomètre et des frais résultant des tirages de plans, de photomontages et des maquettes (CAA Paris, 29 janv. 2004, n° 00PA02734, Société Ressources et Valorisation).
De plus, la juridiction administrative accepte désormais, en certains cas, d’indemniser les bénéfices que la société requérante pouvait raisonnablement attendre de la vente ou de la location d’appartements qui n’ont pu être construits du fait d’une faute de l’administration (CE, 6 févr. 1987, n° 63614, Min. urb. c/ SCI L’Empereur : Juris-Data n° 1987-045024. – CE, 26 oct. 1988, Min. équip. c/ SCI les Moulins d’Hyères : Rec. CE 1988, p. 382. – CE, 24 oct. 1990, SCI Le Grand Large : Juris-Data n° 1990-000102 ; LPA 3 juill. 1991, chron. J.-B. Auby).
Enfin, ajoutons qu’en cas de difficulté afférente à l’évaluation d’un manque à gagner, le juge peut accorder au demandeur une somme globale résultant d’une « juste évaluation, compte tenu des aléas de la commercialisation des lots et du bénéfice qui pouvait raisonnablement en être attendu » (CAA Douai, 28 juin 2001, n° 97PA02219, Joly).
La SARL avait en l’espèce subi un préjudice financier direct et certain, la vente des lots étant garantie puisque 5 promesses d’achat avaient été conclues.
Le Tribunal a par conséquent fait une stricte et exacte application des jurisprudences précitées en condamnant la commune à verser une somme globale de 35 000 euros à la SARL, outre la capitalisation des intérêts.