Application stricte de la jurisprudence « Commune de Saint-Lunaire » par la CAA de Lyon
CAA Lyon, 26 mai 2015, Commune de Mollans-sur-Ouvèze, req. n° 13LY00970
Voici un arrêt fort instructif, rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon le 26 mai dernier. La richesse de cette décision du juge administratif appelle plusieurs remarques de notre part.
Dans cette affaire, quatre requérants avaient obtenu l’annulation de la révision du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune de Mollans-sur-Ouvèze, adoptée par délibération du 19 novembre 2010 du conseil municipal, par un jugement du Tribunal administratif de Grenoble en date du 1er mars 2013.
La commune de Mollans-sur-Ouvèze, relevant appel dudit jugement, contestait l’ensemble des moyens retenus par le juge de première instance pour fonder l’annulation de la délibération approuvant le document d’urbanisme révisé.
I/ Le premier moyen retenu par le Tribunal administratif reposait sur l’absence de réalisation d’une étude environnementale et de sa communication au préfet pour avis avant ouverture de l’enquête publique, la commune ayant ainsi violé notamment les dispositions des articles L. 121-10 du code de l’urbanisme et L. 414-4 du code de l’environnement.
Pour rappel, l’article L. 414-4 précité implique que les documents d’urbanisme, « lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après » Évaluation des incidences Natura 2000 » ».
La Cour administrative d’appel censure néanmoins le raisonnement du Tribunal. Appréciant, dans les circonstances de l’espèce, la spécificité du territoire de la commune de Mollans-sur-Ouvèze, et notamment l’existence d’un site Natura 2000 d’une superficie de seulement 0,35 hectares et d’une « valeur écologique limitée », le juge d’appel considère que la création d’un emplacement réservé de 12 000 m² prévoyant l’implantation d’une station d’épuration située pour partie sur le site Natura 2000, n’est pas de nature, par elle-même, a affecté de manière significative ce site.
Ce faisant, le juge administratif fait ici une appréciation casuistique des circonstances de fait en les confrontant à l’application des dispositions précitées du code de l’urbanisme et du code de l’environnement. Quand bien même une telle solution paraît difficilement généralisable, cet arrêt permet de considérer que les personnes publiques disposent d’une certaine marge de manœuvre en matière de révision ou d’élaboration de leur document d’urbanisme lorsqu’elles envisagent la réalisation d’équipements publics pouvant se situer pour partie sur un site Natura 2000.
II/ Le second moyen retenu par le Tribunal administratif était plus classique : il avait estimé que les modifications apportées au projet de révision du PLU avaient bouleversé son économie générale et qu’ainsi, une nouvelle enquête publique aurait dû être lancée. La Cour adopte ici une position plus souple que celle du juge de première instance. Elle admet en l’occurrence que ces nombreuses modifications n’emportent pas, par principe, un bouleversement de l’économie générale du projet de PLU. Il faut ainsi relever que la commune avait notamment modifié le classement de quelques secteurs de son territoire, opéré des mises à jour dans le tracé des zones inondables et changé le règlement de la surface maximale autorisée pour l’extension des constructions en zone naturelle.
Ainsi, et conformément à une jurisprudence administrative constante en la matière, le juge d’appel considère implicitement que ces modifications, même nombreuses, sont de faible ampleur et s’avèrent, dès lors, régulières.
III/ Le troisième et dernier moyen, contesté par la commune appelante, était relatif à l’application de la fameuse jurisprudence Commune de Saint-Lunaire du Conseil d’Etat du 10 février 2010 (n° 327149).
Tirant les conséquences les plus strictes des dispositions de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, on rappellera que le Conseil d’Etat avait jugé dans cet arrêt que :
« (…) la délibération du conseil municipal doit porter, d’une part, et au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser un document d’urbanisme, d’autre part, sur les modalités de la concertation avec les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées ; que cette délibération constitue, dans ses deux volets, une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité le document d’urbanisme approuvé, alors même que la concertation aurait respecté les modalités définies par le conseil municipal ».
Le Conseil d’Etat avait ensuite précisé la portée de son considérant de principe dans une jurisprudence Commune de Ramatuelle du 17 avril 2013 (n° 348311).
De nombreux PLU sont tombés, depuis lors, sous les coups de boutoir portés par la jurisprudence Commune de Saint-Lunaire (v. par ex. CAA Lyon, 11 octobre 2011, M. A, req. n° 09LY02138 ; CAA Lyon, 13 novembre 2014, SAS Distribution Casino France et Immobilière Groupe Casino, req. n° 13LY03241).
Précisons, en outre, que dans un arrêt récent du 13 novembre 2014, la Cour administrative d’appel de Lyon semble juger – de façon laconique – que la définition des objectifs n’est pas susceptible d’être contestée au titre de la jurisprudence Danthony (CE, 23 décembre 2011, n° 335033). Ne constituant pas une simple formalité procédurale, la Cour considère que l’irrespect de cette obligation légale affecte intrinsèquement le contenu même de la procédure d’élaboration du document d’urbanisme (v., déjà en ce sens, CAA Lyon, 11 mars 2014, req. n° 13LY01054).
Notre cas d’espèce ne dépasse pas le filtre de l’application de la jurisprudence Commune de Saint-Lunaire.
La Cour confirme en effet le jugement du Tribunal en ce qu’il avait retenu que la délibération ayant prescrit l’élaboration de la révision du PLU n’avait pas suffisamment précisé les objectifs de ladite révision. En conséquence, le juge d’appel confirme l’annulation de la délibération sur ce seul moyen. La solution, qui peut paraître rigoureuse pour la commune, n’en reste pas moins strictement logique sur le plan juridique.
En définitive, il appartient aux personnes publiques de prendre le soin de rédiger avec la plus grande attention la définition « dans leurs grandes lignes » des objectifs de la révision de leur document d’urbanisme, et ce dans des termes intelligibles.
La seule manière de contourner cette jurisprudence rigoureuse dépend désormais de la volonté du législateur : lui seul peut modifier la rédaction de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme s’il devait estimer que l’insécurité juridique pesant sur les collectivités territoriales se révèle, finalement, trop importante.
Didier Champauzac