En cas d’incendie (ou d’effondrement d’un immeuble) d’un logement entraînant sa destruction (soit de l’immeuble entier, soit de l’un ou de plusieurs appartements), le maire de la commune concernée prend dans tous les cas un arrêté d’interdiction d’habiter pour des motifs de sécurité dans le cadre de ses pouvoirs de police. Il peut assortir cette interdiction d’habiter d’une obligation pour les propriétaires de reloger leurs locataires ou de supporter le coût d’un relogement assuré par la commune, sur le fondement des dispositions du code de la construction et de l’habitation.
La question qui se pose est celle a priori du « conflit » pouvant se révéler entre les dispositions de l’article 1722 du code civil (destruction de la chose louée par cas fortuit entraînant la résiliation du bail) et celles relative à l’obligation de relogement en matière d’immeuble, faisant l’objet d’un arrêté municipal d’interdiction ou de mise en sécurité, sur le fondement des dispositions des articles L521-1 à L521-3-2 du code de la construction et de l’habitation (CCH).
Il est rappelé notamment qu’en vertu de l'article L521-3-1 du CCH :
« Lorsqu'un immeuble fait l'objet d'une interdiction temporaire d'habiter ou d'utiliser ou que les travaux prescrits le rendent temporairement inhabitable, le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer aux occupants un hébergement décent correspondant à leurs besoins. A défaut, l'hébergement est assuré dans les conditions prévues à l'article L. 521-3-2. Son coût est mis à la charge du propriétaire ou de l'exploitant. »
En premier lieu, s’agissant de l’article 1722 du code civil, il résulte de ce texte que si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit :
« Si la chose louée n’est détruite qu’en partie, le preneur peut suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation du bail.
Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »
C’est la notion de cas fortuit qui pose problème.
Pour que l’article 1722 du code civil s’applique, il faut que la cause de la destruction de la chose louée soit déterminée et étrangère au propriétaire et au locataire. Dans l’incertitude sur la cause, la Cour de cassation retient que le propriétaire et/ou le locataire peuvent avoir une responsabilité éventuelle, et elle estime que la condition du « cas fortuit » n’est pas remplie. Cela peut paraître surprenant (alors que cela correspond à une logique juridique et rationnelle) mais pour la haute juridiction, si la cause est indéterminée, il ne peut y avoir cas fortuit et donc l’article 1722 n’est pas applicable.
Si, par un autre exemple, la destruction de l’immeuble louée provient du fait qu’il était mal entretenu, en mauvais état et que les règles de sécurité n’étaient pas respectées par le propriétaire ou le syndicat de copropriété, il ne peut y avoir "cas fortuit" (la destruction provient pour partie au moins du fait du propriétaire ou du locataire).
Dans les jours qui suivent un incendie ayant entraîné la destruction de la chose louée, il n’y a aucune certitude quant à la cause déterminée de l’incendie ayant entrainé la perte de certains appartements de l’immeuble, empêchant le maintien de la location (la chose louée s’entend de chaque appartement ; il peut donc y avoir perte totale de la chose louée au sens de l’article 1722, si la cause est déterminée et reste étrangère au propriétaire et au locataire). Or en pratique, le maire adopte très rapidement son arrêté d’interdiction d’habiter et d’obligation de reloger les occupants et locataires.
Les résultats de l’enquête risquent toutefois d’être longs à obtenir avant de déterminer une responsabilité, et donc une cause déterminée à l’incendie.
Les éléments précédents concernant l’application de l’article 1722 du code civil et la notion de cas fortuit résultent d’un arrêt de principe de la Cour de Cassation : Cass. civ., arrêt n°611 du 17/09/2020. La Cour de Cassation a ainsi jugé que :
« En statuant ainsi, après avoir constaté que la cause de l’incendie était indéterminée, ce qui ne caractérisait aucun cas fortuit, la Cour d’Appel a violé le texte susvisé. »
La Cour de Cassation considère ainsi que lorsque la cause d’un incendie est indéterminée, subsiste la possibilité qu’il y ait une responsabilité du propriétaire ou du locataire, et donc dans ce cas il ne peut y avoir cas fortuit et donc application de l’article 1722 du code civil.
Cependant, lorsque l’article 1722 peut être appliqué, par voie de conséquence, les articles L521-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation ne peuvent être mis en œuvre par le maire de la commune concernée.
Ainsi, il a été jugé que le maire ne pouvait valablement utiliser les dispositions de l’ancien article L521-1 du CCH lorsque la détermination de la cause de l’incendie était avérée et qu’elle était constitutive d’un cas fortuit.
A cet égard, par exemple, à la suite d’une expertise ordonnée en 2018 par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bordeaux, le rapport d’expertise avait déterminé que l’incendie qui avait détruit l’immeuble était d’origine accidentelle et « qu’il avait pris naissance un peu avant 18h au niveau du moteur d’un véhicule que sa propriétaire venait de stationner dans le garage de l’immeuble mitoyen, et qu’il s’est propagé rapidement à l’immeuble incendié » ; le cas fortuit était avéré.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux (5ème chambre, arrêt n°20BX02649 du 20/12/2022) a alors annulé le titre de recettes qui avait été émis par le centre communal d’action sociale de Bordeaux, à l’encontre du propriétaire de l’immeuble incendié, au titre du coût de relogement des locataires.
La Cour administrative d’appel a reconnu (implicitement) qu’en présence d’un cas fortuit justifiant l’application de l’article 1722 du code civil, le maire ne pouvait réclamer le coût correspondant au relogement ou à l’hébergement des occupants de l’immeuble incendié.
La situation pourrait donc être apparemment plus délicate lorsque la cause d'un incendie n’est pas déterminée.
Mais, en second lieu, en réalité dans une telle hypothèse, il est préférable, au lieu d’appliquer l’article 1722 du code civil, de se fonder sur les dispositions de l’article 1741 du même code.
Cet article prévoit :
« Le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements. »
La Cour de cassation a ainsi retenu que lorsqu’un incendie, de cause indéterminée, plaçait par exemple les locataires dans l’impossibilité d’habiter des lieux loués, le bail pouvait être valablement résilié sur le fondement de l’article 1741 du code civil, qui reste exclusif de l’article 1722 du code civil qui règle la question du cas fortuit (arrêt de principe de la Cour de cassation, chambre civile 3, 22 janvier 1997 n°95-12410).
Ainsi, lorsque les circonstances d’un incendie ne peuvent être déterminées, la mise en œuvre de l’article 1722 doit être écartée, et ce sont les dispositions de l’article 1741 qui s’appliquent.
La Cour d’appel de Grenoble a notamment fait application de l’article 1741 (et non de l’article 1722) dans un arrêt récent du 23 mai 2024 (CA Grenoble, chambre commerciale, 23 mai 2024, n°21/04093).
La Cour a ainsi noté :
« Il ressort de ces constatations que les circonstances de l’incendie survenues dans le local exploité par la société CYCLABLE ne peuvent pas être déterminées, de sorte que les premiers Juges ont ainsi fait, à tort, l’application de l’article 1722 du code civil, lequel doit, dans une telle hypothèse être écarté au profit des dispositions de l’article 1741 du même code (…) la destruction physique partielle d’un bâtiment est à assimiler à la destruction totale pour l’application de l’article 1741 du code civil, lorsque le locataire ne peut plus jouir de la chose louée ou ne peut plus en user conformément à cette destination ».
Dès lors, il faut d’abord vérifier dans tous les baux d’habitation, la clause qui y figure concernant la perte éventuelle par destruction de la chose louée.
Dans tous les cas, les propriétaires qui ne veulent pas, ou qui ne sont pas en mesure de reloger leurs locataires, devraient demander à ces derniers une résiliation amiable du bail par la perte de la chose louée et l’impossibilité de l’habiter, d’un commun accord, sur le fondement de l’article 1741 du code civil. Il faudrait dans chaque cas qu’une convention de résiliation amiable soit signée (pour l’opposer au maire).
Pour ce qui concerne l’arrêté du maire et ses dispositions concernant l’obligation de reloger les locataires, il est recommandé de former un recours gracieux (qui proroge le délai de recours contentieux au Tribunal administratif) dans le délai de 2 mois suivant sa notification, puis d'engager le cas échéant un recours contentieux (ou directement un recours contentieux au Tribunal administratif, le cas échéant assorti d’un référé-suspension à l’encontre de l’obligation de reloger) .