La fin de la substitution de motifs en matière de refus d’autorisation d’urbanisme ?
En matière de refus de permis de construire ou d’aménager et d’opposition à déclaration préalable, il était courant, jusqu’à récemment, que le maire, auteur de la décision, en sa qualité d’autorité chargée de délivrer les autorisations d’urbanisme, pour sa défense en cas de recours gracieux ou contentieux, utilise la technique de « la substitution de motifs », c’est-à-dire substitue devant la juridiction administrative saisie (ou dans une décision de rejet de recours gracieux) aux motifs de fait et de droit figurant dans l’arrêté de refus, un ou plusieurs nouveaux motifs – espérés plus pertinents, sinon cela n’a pas d’intérêt – pouvant justifier, cette fois sans conteste, de la légalité de la décision attaquée.La substitution de motif est une construction du Conseil d’État consacrée par l’arrêt dit Mme Hallal du 6 février 2004 (n° 240560). Mais il ne s’agit pas d’un principe général du droit, car l’arrêt ne qualifie pas de la sorte ce procédé.
La loi « Macron » du 6 août 2015 a modifié plusieurs dispositions en matière d’autorisations d’urbanisme.
S’agissant des refus, le nouvel article L 424-3 du code de l’urbanisme dispose :
« Lorsque la décision rejette la demande ou s’oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. Cette motivation doit indiquer l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d’opposition, notamment l’ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L 421-6. Il en est de même lorsqu’elle est assortie de prescriptions, oppose un sursis à statuer ou comporte une dérogation ou une adaptation mineure aux règles d’urbanisme applicables ».
Ce nouvel article oblige ainsi l’autorité administrative à exposer l’intégralité des motifs de refus d’autorisation d’urbanisme en une seule fois. Cette obligation semble écarter ainsi toute possibilité de substitution de motifs et mettrait par conséquent fin à la jurisprudence Mme Hallal.
S’agissant de cette interprétation du texte, nous avons procédé à une recherche des débats parlementaires de la loi Macron sur cet article. Évidemment, les débats n’abordent pas la question de la substitution de motifs en contentieux administratif…
Les débats des députés et sénateurs se contentent de révéler que le Gouvernement a cherché à éviter la délivrance de refus successifs d’autorisation d’urbanisme pour des motifs différents, dans le souci affiché de relancer la construction en France et donc de favoriser des travaux de construction sur des terrains réputés constructibles au sens du droit de l’urbanisme.
Pourtant, certains commentateurs, sur les forums juridiques et autres sites internet, indiquent désormais, avec toutes les réserves d’usage, que dès qu’un refus de permis de construire ou d’aménager est déclaré illégal par le juge administratif, (faute de pouvoir substituer de nouveaux motifs en cours de procédure) l’autorité administrative serait alors dans l’obligation de délivrer le permis sollicité et il n’y aurait plus, pour elle, l’obligation (la possibilité ?) de ré-instruire la demande et d’opposer un nouveau refus, cette fois sur la base d’un motif différent du motif initial.
Mais l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme prévoit toujours que :
« Lorsqu’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou l’opposition à une déclaration de travaux régie par le présent code a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire ».
Or, cet article n’a pas été supprimé par la loi « Macron », ce qui remet en cause implicitement la position précitée de certains commentateurs concernant l’obligation de délivrer un permis à la suite d’un refus de permis annulé, faute de pouvoir prétendument substituer d’autres motifs.
Le nouvel article L 424-3 du code de l’urbanisme issu de la loi « Macron » ne mentionne pas que tout autre motif ultérieurement opposé à un refus serait inopposable au pétitionnaire. Ainsi, soit cet article manque de précision, notamment dans les conséquences de l’obligation d’exposer l’intégralité des motifs pour le refus d’une autorisation d’urbanisme, soit le législateur n’a tout simplement pas entendu rendre obligatoire la délivrance d’un permis de construire à la suite d’un refus annulé.
En pratique, dans une optique de sécurisation juridique, en présence d’un recours gracieux préalable, voire en cours de contentieux, l’autorité administrative compétente pourrait chercher à mieux motiver le refus de permis en cause et donc retirer, dans un premier temps, son refus pour, justement, procéder à une nouvelle motivation.
L’arrêté de retrait ne fait pas naître un permis tacite.
Le « retrait » a un effet rétroactif et le pétitionnaire se retrouve dans sa situation originelle, c’est-à-dire en l’état de sa demande initiale. Il faut rappeler qu’un refus d’autorisation d’urbanisme est un acte défavorable, qui n’est évidemment pas créateur de droits au profit du pétitionnaire en vertu de l’article L. 243-1 du code des relations entre le public et l’Administration.
Le retrait d’un tel acte doit cependant intervenir dans le délai de 4 mois prévu par l’article L 243-3 du même code.
Aussi, parallèlement et concomitamment, l’autorité administrative pourrait prendre un nouveau refus sur un nouveau fondement plus pertinent et mieux formalisé.
Quoi qu’il en soit, on peut légitimement douter, dans le respect des objectifs du Code de l’urbanisme et de la législation de l’urbanisme et de l’environnement en général, qu’une décision de refus de permis, légale en soi mais mal motivée, puisse donner lieu finalement à une autorisation d’urbanisme pour la raison procédurale tirée de l’article L 424-3 du Code de l’Urbanisme, selon laquelle il ne serait plus possible, lorsqu’on s’est trompé de (justes) motifs, de revenir en arrière…
Le Conseil d’État ne devrait pas trop soutenir le pétitionnaire qui aurait eu « la chance » de se voir opposer un refus de permis de construire mal motivé par l’autorité compétente (et plus précisément son service instructeur, ne l’oublions pas) pour obtenir ensuite, et de plein droit, une autorisation d’urbanisme, pourtant illégale au regard des règles du document d’urbanisme applicable sur le territoire par exemple.
Il convient de penser que, dans son souci de veiller à la bonne interprétation de la règle de droit et dans le respect des objectifs précités en matière de construction du droit de l’urbanisme, la Haute Juridiction en vienne à rappeler, dans un arrêt de principe, que « refus de permis mal motivé ne vaut pas permis légalisé ».
Il n’est donc pas certain que le fameux article L 424-3 du code de l’urbanisme ait signé (sifflé !) la fin de la jurisprudence Mme Hallal sur la substitution de motifs en matière de rejet de demandes d’autorisation d’urbanisme…