Incertitudes juridiques découlant du nouveau droit des marchés publics et des concessions
Certaines dispositions introduites par les ordonnances n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession font naître de nouvelles difficultés d’interprétation et d’application du droit positif.
Il est rappelé, à titre liminaire, que l’ordonnance du 23 juillet 2015 est entrée en vigueur à compter du 1er avril 2016, le Code des marchés publics étant abrogé à cette date.
La création de dispositions encadrant les « contrats mixtes » soulève ainsi des problèmes rédactionnels que l’on retrouve au sein des dispositions des deux ordonnances (I). Le législateur a en outre omis de définir la composition de la commission de délégation de service public en cas de groupement d’autorités concédantes (II) et de se prononcer sur l’obligation de constituer une CAO pour l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs, auxquels appartiennent notamment les SEM (III).
I – L’imbroglio juridique des « contrats mixtes »
Certaines dispositions des ordonnances n° 2015-899 relative aux marchés publics et n° 2016-65 relative aux contrats de concession encadrent la qualification juridique des contrats administratifs comportant des objets distincts. Il s’agit plus précisément des articles 22 à 25 de l’ordonnance relative aux marchés publics et des articles 21 à 24 de l’ordonnance relative aux contrats de concession. L’objectif paraît louable : il est celui de clarifier la qualification juridique d’un contrat administratif conclu par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice, lorsque l’objet de ce contrat porte à la fois sur des prestations relevant de l’ordonnance sur les marchés publics et sur d’autres prestations, telles que celles prévues par l’ordonnance sur les concessions.
Au préalable, il est nécessaire de rappeler que s’agissant du code des marchés publics de 2006, ce dernier ne définissait que la notion de « marché mixte », laquelle correspondait aux marchés publics combinant à la fois des prestations de travaux, fourniture et/ou de services. Désormais, le législateur crée la notion de « contrat mixte », laquelle englobe les contrats qui mêlent des objets relevant de réglementations distinctes. Compte tenu de la possibilité de combiner dans un contrat administratif deux prestations de nature différente, les deux ordonnances prévoient la méthode de prévalence d’une prestation sur l’autre afin de définir la qualification juridique unique du contrat.
Plus particulièrement, les deux textes prévoient le cas d’une combinaison de prestations relevant du contrat de concession et de prestations relevant du régime juridique du marché public. Dans une telle hypothèse, l’ordonnance du 29 janvier 2016 sur les concessions précise ainsi une méthode a priori simple pour déterminer la qualification juridique du contrat.
L’ordonnance prévoit notamment au point I de son article 22 que :
« Lorsque le contrat comporte des éléments objectivement dissociables et couvre soit une ou plusieurs activités, dont aucune ne constitue une activité d’opérateur de réseau, soit exclusivement une ou plusieurs activités d’opérateur de réseau, les règles suivantes s’appliquent : 1° Si le contrat porte sur des prestations qui relèvent à la fois des contrats de concession et des marchés publics, il est soumis aux dispositions de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée ; ».
En toute logique, l’ordonnance n° 2015-899 relative aux marchés publics devrait comporter, sinon une disposition similaire, à tout le moins un renvoi à cet article de l’ordonnance sur les concessions.
Tel n’est pourtant pas le cas.
Certes, dans la première partie de l’ordonnance, au sein d’un chapitre « Contrats particuliers » figure une 2ème section intitulée « Contrats mixtes ». Toutefois, si l’ordonnance de 2015 précise la qualification juridique du contrat lorsqu’il comporte à la fois des prestations révélant un marché public et des prestations relevant du régime juridique d’un contrat de concession, le texte idoine en la matière ne reprend pas la formule inscrite dans l’ordonnance du 29 janvier 2016 sur les concessions. A ce titre, le II de l’article 23 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dispose quant à lui :
« (…) II. – Nonobstant les dispositions du I, lorsque le contrat unique porte à la fois sur des prestations qui relèvent du régime juridique des marchés publics et des prestations qui relèvent du régime juridique des contrats de concession :
1° La présente ordonnance est applicable lorsque les prestations sont objectivement inséparables et que celles qui relèvent du régime juridique des marchés publics constituent l’objet principal du contrat ou lorsqu’il est impossible de déterminer l’objet principal du contrat ;
2° La présente ordonnance est applicable lorsque les prestations sont objectivement séparables et que celles qui relèvent du régime juridique des marchés publics constituent l’objet principal du contrat ou lorsque la valeur estimée hors taxe de ces prestations est égale ou supérieure aux seuils européens mentionnés à l’article 42. ».
Selon cette rédaction de l’article 23-II de l’ordonnance de 2015, lorsqu’un contrat prévoit des « prestations relevant du régime juridique des marchés publics » et des « prestations relevant du régime juridique des contrats de concession », il est nécessaire de déterminer l’ « objet principal du contrat ».
Au contraire de l’ordonnance n° 2016-65 sur les contrats de concession qui reconnaît une qualification juridique directe en estimant qu’un tel contrat est obligatoirement soumis à l’ordonnance sur les marchés publics, la caractérisation de l’ « objet principal » du contrat est donc la technique retenue à l’article 23-II de l’ordonnance sur les marchés publics, alors que l’on se situe, dans ces deux cas précités, dans la même hypothèse.
En définitive, les deux textes se révèlent incompatibles.
Aussi, lorsqu’un contrat combine des prestations relevant du régime juridique des marchés publics et des prestations relevant du régime des concessions, quel est le texte qui prévaut ? Convient-il d’appliquer la qualification juridique directe attribuée par l’article 22 de l’ordonnance sur les concessions ou la qualification juridique particulière découlant de l’article 23-II de l’ordonnance sur les marchés publics ? Pour l’heure, il est évidemment impossible de répondre avec certitude à cette interrogation.
Certes, l’article 22 de l’ordonnance sur les concessions renvoie de façon générale à l’application de l’ordonnance sur les marchés publics. Mais l’article 23-II, 2° de l’ordonnance sur les marchés publics entre lui-même en contradiction avec cet article 22 de l’ordonnance sur les concessions, en prévoyant le cas où l’objet principal du contrat n’est pas celui d’une prestation relevant du régime des marchés publics…
Par ailleurs, l’article 23-II de l’ordonnance de 2015 distingue entre les « prestations objectivement inséparables » et les prestations « objectivement séparables », tandis que l’article 22 de l’ordonnance de 2016 emploie une rédaction légèrement différente en faisant référence aux « éléments objectivement dissociables » et à ceux « objectivement indissociables ». Au plan de la terminologie juridique, cette rédaction, là encore, n’est pas satisfaisante. En effet, concrètement, qu’est-ce qu’une prestation « objectivement » dissociable ? Faut-il en conséquence considérer qu’une prestation « subjectivement » dissociable ne serait pas réglementée par ces textes ? Les articles précités des deux ordonnances demeurent silencieux.
En fin de compte, cette terminologie nébuleuse ne va certainement pas faciliter le travail des pouvoirs adjudicateurs dans la détermination de l’objet principal de leur contrat, et donc de sa qualification juridique. Si la rédaction de ces deux textes n’évolue pas, il appartiendra nécessairement au juge administratif d’user de son pouvoir normatif pour en déterminer l’interprétation (rappr. de G. Clamour, « Le nouveau droit des concessions », Dr. Adm. 2016, pp. 13-21, spéc. p. 21).
Il convient enfin de remarquer que la délégation de service public, qui est incorporée au sein des concessions de service en vertu du nouvel article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), répond à une procédure de passation particulière, qui passe notamment par les constitutions préalables d’une commission de délégation de service public et d’une commission consultative des services publics locaux. Or, un contrat combinant une prestation relevant du régime de la délégation de service public ainsi qu’une prestation de travaux répondant aux besoins du pouvoir adjudicateur, s’avère tout à fait possible. Quel sera alors l’objet principal d’un tel contrat au regard des dispositions précitées des deux ordonnances ?
En tout état de cause, la sécurisation de la procédure de passation du contrat n’apparaît pas renforcée par cette rédaction des textes. Quoi qu’il en soit, au regard de cette contradiction textuelle, une unification des règles relatives à la qualification des contrats mixtes nous apparaît primordiale.
II – Silence juridique sur la composition de la commission de délégation de service public en cas de groupement d’autorités concédantes
La délégation de service public étant bien un contrat soumis à l’ordonnance du 29 janvier 2016, comme l’indique implicitement le II de l’article 6 de l’ordonnance précitée ainsi que l’article L. 1411-1 nouveau du code général des collectivités territoriales , il découle de l’article 26 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession que des groupements peuvent être constitués pour lancer une procédure de délégation de service public, « à l’image de ce que permet et prévoit le droit des marchés » (G. Clamour, « Le nouveau droit des concessions », art. préc., spéc. p. 15).
En effet, cet article 26 englobe tous les contrats de concession, sans distinction particulière :
« Des groupements peuvent être constitués entre des autorités concédantes ou entre une ou plusieurs autorités concédantes et une ou plusieurs personnes morales de droit privé qui ne sont pas des autorités concédantes soumises à la présente ordonnance afin de passer conjointement un ou plusieurs contrats de concession, dans les conditions fixées à l’article 28 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée.
Les contrats de concession conclus par un groupement au sein duquel les collectivités territoriales ou les établissements publics locaux sont majoritaires obéissent aux règles prévues par la présente ordonnance et par le chapitre préliminaire du titre Ier du livre IV de la première partie du code général des collectivités territoriales ainsi que, le cas échéant, par le chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la première partie dudit code ».
Ainsi, il ressort de la combinaison de ces textes que les contrats de concession consistant à déléguer un service public peuvent faire l’objet d’un groupement entre autorités concédantes.
Le législateur a néanmoins omis de tenir compte des spécificités de la procédure de délégation de service public au cas des groupements. Il a ainsi oublié d’adapter les dispositions du code général des collectivités territoriales à la spécificité de la procédure de passation de ce type de contrat. Précisément, le nouvel article L. 1411-5 relatif à la composition de la commission de délégation de service public ne fait aucune référence à la notion de « groupement ». Effectivement, cet article du CGCT ne précise pas comment doit être composée la commission de délégation de service public lorsqu’un groupement d’autorités concédantes a lancé une procédure de délégation de service public. De même, l’article L. 1413-1 du CGCT relatif à la composition de la commission consultative des services publics locaux (CCDSP) n’a pas été adaptée au cas d’un groupement d’autorités concédantes.
Cela étant, il convient de remarquer que les commissions d’appel d’offres (CAO) en matière de marchés publics ne sont plus régies par le code des marchés public, mais par le CGCT. La composition des CAO est désormais définie au sein du CGCT, comme c’est le cas pour la commission de DSP. L’article 1414-3 du CGCT, modifié par l’article 101 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, prévoit ainsi la composition de la CAO en cas de groupement de commandes . Il doit en outre être observé que depuis l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, l’article 1414-1 du CGCT impose que la CAO soit composée de la même manière que la commission de DSP . Les CAO et les commissions de DSP sont donc désormais sensiblement identiques. Cette codification des dispositions relatives à la composition de la CAO et de la commission de DSP peut cependant surprendre compte tenu de la volonté du législateur de créer un code de la commande publique regroupant l’ensemble de ces contrats et des règles qui leur sont applicables.
A notre sens, il semble ainsi possible de s’inspirer de l’article L. 1414-3 du CGCT, relatif à la composition de la CAO en cas de groupement de commandes, pour établir la composition de la commission de DSP en cas de groupement d’autorités concédantes.
A titre indicatif, on rappellera d’ailleurs que les groupements en matière de concession sont fondés sur les dispositions relatives aux groupements de l’ordonnance de 2015 (cf. art. 26 ordonnance du 29 janvier 2016, lequel renvoie à l’article 28 de l’ordonnance du 23 juillet 2015).
Constitution obligatoire d’une CAO pour tous les pouvoirs adjudicateurs ?
En matière de procédure formalisée, un pouvoir adjudicateur doit se doter obligatoirement d’une commission d’appel d’offres (CAO) pour choisir le titulaire du marché public.
Cette obligation a été maintenue par le nouveau droit des marchés publics et figure désormais à l’article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
Or, auparavant, il n’était notamment pas nécessaire de créer une CAO pour les sociétés d’économie mixte locales (SEM).
Mais désormais, au vu de la généralité de l’article L. 1414-2 du CGCT, lequel s’applique à tous les pouvoirs adjudicateurs, il devient nécessaire d’envisager la création d’une CAO, notamment pour toutes les SEM qui passent des marchés publics supérieurs aux seuils de procédure formalisée :
« Pour les marchés publics dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure aux seuils européens mentionnés à l’article 42 de l’ordonnance susmentionnée, à l’exception des marchés publics passés par les établissements publics sociaux ou médico-sociaux, le titulaire est choisi par une commission d’appel d’offres composée conformément aux dispositions de l’article L. 1411-5. Toutefois, en cas d’urgence impérieuse, le marché public peut être attribué sans réunion préalable de la commission d’appel d’offres ».
La CAO devra ainsi être créée par une délibération de l’assemblée générale ou du conseil d’administration de la SEM. Cependant, sa composition n’est pas spécialement prévue par les textes, ce qui est source d’insécurité juridique.
Didier Champauzac – Avocat spécialiste en droit public